Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Monday, October 12, 2015

Jérémie dans la peinture haïtienne

Repères de la mémoire                                                 
Toile de Mérès Weche
 Tragédie du roi Henry 
Cliquez  pour agrandir
D’aucuns vont se demander si ce n’est pas trop forcer la note que de parler d’une histoire de la peinture Jérémienne dans le concept de l’art haïtien.  Ce serait la même interrogation par rapport à la sculpture. La raison, c’est que l’image d’Épinal de Jérémie reste et demeure la poésie, lors même que certains poètes issus d’autres villes du pays ont tendance à s’y opposer.

Puisqu’il faut parler peinture, nous dirons que si la grande majorité des peintres haïtiens viennent du Nord, il faut rendre un hommage certain au roi Henry qui fit venir au Cap le peintre anglais Richard Evans pour enseigner la peinture et le dessin à l’Académie royale. On doit à ce peintre le célèbre portrait du roi qui fait partie aujourd’hui de notre patrimoine national.  On peut dire que c’est toute une tradition bien gardée qui est à l’origine de la fameuse «École capoise» que symbolisent les frères Obin.

Nelson Mandela peint en acrylique sur toile
 par l'écrivain Mérès Weche                         
Selon Michel-Philippe Lerebours (1 ), dans son introduction au catalogue de l’exposition Haïti au toit de la Grande Arche, qui eut lieu á Paris en septembre 1998, la République de Pétion entreprit également un effort dans ce sens, pour avoir inscrit au programme de formation des jeunes, par le biais du Pensionnat des jeunes filles, établi dans les principales villes de province, une combinaison de la musique, du dessin et de la peinture. L’aristocratie Jérémienne d’alors devait en profiter le long de plusieurs générations, et c’est ce qui valut á cette ville d’éminents musiciens tels que les Villedrouin, les Clérié, les Roumer, sans oublier un Louis Laurent et un Antime Samedi, pour ne citer que les plus talentueux de la classe moyenne.

En ce qui concerne la peinture proprement dite, qui fut enseignée dans le Pensionnat de jeunes filles instauré dans la ville de Jérémie par l’Administration Pétion, elle fut davantage à la portée de celles-là qui fréquentaient l’institution des Sœurs de la Sagesse, très sélective évidemment, dont l’objectif consistait á former des femmes d’intérieur initiées aux arts d’agrément. De belles reproductions de peintures européennes garnissaient les salons de la haute bourgeoisie de la haute ville. On en voyait chez les Villedrouin, les Allen, les Martineau, les Laveaux, etc., toutes des adaptations réalisées par des «filles de famille».

Une toile de Tiga 
Dès 1825, s’établissait aux Cayes, venue de la Louisiane, une certaine Clara Petit, qui donnait des leçons de peinture. Au cours de ses séjours à Jérémie dans des milieux aristocrates, elle contribuait à conforter les acquis de ces jeunes filles privilégiées, et intéressait même de jeunes hommes à la pratique des arts plastiques.

Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, particulièrement sous les gouvernements de Salomon, d’Hyppolite et de Nord Alexis, des bourses furent octroyées à de jeunes gens pour se spécialiser dans les arts en Europe. Au pays même, beaucoup d’autres, grâce aux efforts de leurs parents, acquirent des connaissances sous la houlette d'un Normil Charles ou d'un Lominy, par exemple.

Poète Edmond Laforest
(Toile de Méres Weche)
Il fallait attendre le mouvement indigéniste pour voir s’haitianiser les sources d’inspiration,  surtout avec l’arrivée au pays, en 1932, du peintre noir américain Williams Scott. L’indigénisme en peinture déplut la haute société jérémienne, et les inspirations, confinées dans les salons, se retournaient vers l’Europe.

Les œuvres de peintres cubains arrivés en Haïti vers 1945-46, en l’occurrence Wifredo Lam, ouvrirent l’art haïtien au surréalisme et au cubisme. Certains jeunes peintres d’origine jérémienne, pour la plupart revenus de l’étranger ou gagnés par l’enthousiasme du Centre d’Art, et plus tard Galerie Brochette , Foyer des Arts Plastiques et Calfou, s’éprirent de la grande fascination apportée par le vodou. Ainsi, Jean-Claude Garoute (Tiga) et Patrick Vilaire se retrouveront dans cette mouvance au sein du Poto-Mitan, en compagnie de Frido Casimir.

Le coeur du Sud - Toile de Jacques St-Surin symboli
sant la Grand'Anse qui jusqu'aujourd'hui produit pres
que tous les vivres agricoles d'Haïti.                       
Au cours des années 60, à Jérémie même, s’affirmaient Éric Girault, Vernet Caze, Wébert Lamour et un des frères Dupoux au haut de Morne Canova. Aidés de Wébert Lamour, de jeunes talents commençaient à s’affirmer dans la ville, parmi lesquels Fritz Edouard Joseph (Dada), Gladys Chevalier et moi. Viendront ensuite Jacques Saint-Surin  et Marc Chanlatte, ce dernier, venu de Jacmel. Il se développait dès lors un engouement pour l’architecture de l’église Saint-Louis, la gorge de l’Anse d’Azur, le promontoire de La Pointe, la beauté gracile de la petite Amélie  et le Lycée Nord Alexis nouvellement reconstruit à Nan-Bourette. Encouragé par Antoine Jean du Soleil Levant, Élie Lestage et Antoine Roumer, je faisais des cartes de souhaits qui s’écoulaient à merveille. Les murs d’intérieur de chez nous, au 54 de la rue Monseigneur Beaugé, se convertissaient en murales, et la galerie même de la maison tenait lieu d’espace d’exposition avec ces cartes de vœux  étendues sur des cordes. Je me souviens d’Hubert Sansaricq , lui aussi peintre, qui me fit don de ma première boite d’aquarelle. J’ai eu personnellement l’honneur de rafraichir, à la demande d’Antoine Jean, la murale de fond de Versailles préalablement peinte par Vernet Caze, le plus âgé d’entre nous.

Les figures de proue
Les quatre figures jérémiennes les plus proéminentes de la peinture haïtienne demeurent, à l’échelle nationale et internationale,  Patrick Vilaire, Érick Girault , Jean-Claude Garoute dit Tiga et Fravrange Valcin alias Valcin II. Ces deux derniers  m’ont voué une amitié profonde pour m’avoir invité à exposer avec eux. Valcin II, dans les jardins de Galerie Marassa, et Tiga dans son inoubliable exposition Noir sur Blanc à Pétion-Ville. Je leur dois une fière chandelle. Quant à Girault, il m’assista à Linden Boulevard, Queens, lors d’une exposition organisée à New York, en 1982, sous les auspices du Dr. Jean-Robert Léonidas. Il est à noter que le grand sculpteur en bois, connu sous le nom de Sanon, aux abords de la route de Thomassin, est originaire de Roseaux, près de Jérémie.

Par Mérès Weche



1.      


Michel-Philippe Lerebours, Haïti, au toit de la Grande Arche, Paris, France, 1998.pp.27-3

No comments:

Post a Comment